Menu des Pages
Rss
Menu de catégories

Publié par le mai 24, 2015

Droit franco-allemand et ONG: Quand un Petit essaie d’effrayer un Géant

Droit franco-allemand et ONG: Quand un Petit essaie d’effrayer un Géant

Huaraz Pérou_htw-iIl était une fois, un petit propriétaire péruvien qui s’attaquait à un géant énergétique allemand, RWE. L’histoire commence dans un cadre idyllique dans la petite ville de Huaraz en pleine cordillère des Andes au Pérou, à 400km de la capitale Lima, soit 6 heures de route.

Cette petite ville perdue est aujourd’hui sous les feux des projecteurs grâce à un seul homme, Saúl Luciano Lliuya, un propriétaire de Huaraz. Ce guide de haute montagne péruvien veut protéger sa ville de la fonte glacière.

Rappel historique pour mieux comprendre

Saúl Luciano Lliuya_Huaraz Pérou_htw-iLes risques sont bien réels. En 1941, 5 000 habitants étaient tués dans le village après un tel événement. En effet, la ville déjà meurtrie par un séisme en mai 1970 se voit à nouveau menacer par la fonte des glaces, les dégâts furent énormes tant en vies (70 000 morts dans toute la vallée) qu’en dégâts matériels.

Depuis, il a fallu encore reconstruire mais voilà la mondialisation et le développement économique de la ville grâce au tourisme et à des recherches  scientifiques sur son site paradisiaque a apporté son lot de malheur.

La ville classée au patrimoine Culturel de l’Humanité de l’UNESCO grâce son complexe architectural, localisée dans la province de Huari, présentant de remarquables sculptures de pierre (stèle, têtes, obélisques et le fameux Lanzón).

Une population face aux aléas écologiques

D’ordinaire faisant parler d’elle pour ses admirables circuits de trek, la ville de Huaraz est sous le feu des projecteurs parce que ses habitants veulent protéger leur ville des conséquences écologiques de la fonte des glaciers. Avec la fonte des glaces consécutive au réchauffement climatique, le lac a quadruplé de volume en 12 ans.

Une menace écologique permanente

Selon un rapport publié dans la revue Climatic Change, le volume du lac Palcacocha aurait été multiplié par trente en seulement quatre décennies. Une équipe avait été embauchée pour donner l’alerte en cas d’effondrement d’un bloc de glace, mais, faute de moyens, elle a déserté depuis quelques mois.

Pour les habitants de Huaraz, la menace écologique est permanente, en effet, l’état d’urgence est régulièrement décrété par les autorités locales face aux risques d’inondations. La ville pourrait même couler sous les eaux un jour.

La conséquence la plus redoutée par Huaraz est celle d’un énorme raz-de-marée, avec des vagues de 25 à 50 mètres venant de l’ouest, qui déferleraient bien au-delà de la digue naturelle du lac et s’abattraient dans le nord et le sud de la ville.

….face au manque de moyens

Les moyens manquent dans cette petite ville des Andes, il n’existe pas des systèmes d’alertes, ni de dispositifs de détection de séismes dernier cri. La ville n’a pas le moyens d’en disposer pourtant le risque est toujours là.

La fable du lion et du rat

Le géant allemand est l’un des plus gros émetteur de gaz à effet de serre. Avec ses douze centrales à charbon en Allemagne, RWE serait responsable de 0,5 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle. Et comme ces émissions se répandent bien au-delà de leur lieu d’origine, leurs conséquences se font aussi sentir à l’autre bout du monde.

RWE_logo_htw-iAccompagnée d’une avocate allemande Maitre Roda Verheyen spécialisée dans les questions environnementales et le soutien de l’ONG allemande Germanwatch, Saúl Luciano Lliuya  a donc décidé de s’adresser aux entreprises directement responsables du changement climatique.  Il réclame ainsi au groupe allemand RWE de participer aux coûts.

« On cherche à appliquer la même logique que pour un litige de voisinage, c’est-à-dire que chacun est responsable de sa propriété uniquement, sauf si elle a des conséquences sur celle de son voisin », explique Roda Verheyen, l’avocate.

Le tout ou rien

C’est lors d’une conférence sur l’environnement à Lima que Saúl Luciano Lliuya a tiré la sonnette d’alarme. Si l’entreprise refuse, Saúl Luciano Lliuya et son avocate sont bien décidés à porter l’affaire devant un tribunal civil allemand.

« Une telle initiative est inédite en Europe, signale Christoph Bas, directeur de l’ONG Germanwatch. Il y a dans le monde toujours plus de personnes dont l’existence est menacée par le réchauffement climatique alors qu’ils sont parmi ceux qui y ont le moins contribué. Il faut une solution politique à ce scandale.

Une solution qui mette les émetteurs de CO2 devant leurs responsabilités. Le prochain accord sur le climat qui doit être signé à Paris en décembre 2015 donne l’occasion d’avancer d’un pas décisif sur cette question. »

Et le droit allemand en matière d’émissions?

Pour l’avocate et ses protégés « Nous allons nous référer à la loi fédérale relative aux émissions de gaz à effets de serre (Bundes-Immissionsschutzgesetz), inscrite dans le Code civil allemand », poursuit l’avocate, ce qui est possible depuis un arrêté de l’Union européenne. Même si l’application de cette procédure pose encore question, du moins à l’échelle internationale.

La Bundes- Immissionsschutzgesetz date de 1974 et reconnait les émissions de gaz industrielles comme un sérieux problème pour l’environnement et la santé humaine s’inscrivant dans la conscience écologique. Les émissions de gaz peuvent être des pollutions de l’air, le bruit, les vibrations et les processus similaires.

Le § 906 BGB Absatz 1 fixe la responsabilité de l’émetteur de gaz à effet de serre. La loi reste encore incomplète trop descriptive et ne donne pas assez de précisons quant à la procédure à suivre.
Et en droit français alors ?

La reconnaissance du préjudice moral écologique en droit français

Dès 1982, la Cour de Cassation, dans l’affaire du balbuzard-pêcheur, a considéré que la destruction de ce rapace par des chasseurs avait causé à l’association de protection des oiseaux un « préjudice moral direct personnel en liaison avec le but et l’objet de ses activité».

Ce cas fut suivi en 1985 d’un jugement du tribunal de grande instance de Bastia rendu dans l’affaire de la Montedison, une société qui provoqua une pollution en Méditerranée par le rejet de boues rouges et qui fut condamnée à en réparer les effets aux départements de Corse.

Avec le temps, la notion de préjudice moral s’est affinée : il apparaît désormais sous la forme de l’« atteinte directe à l’image de marque », la « réputation des stations touristiques du littoral » ou du « trouble de jouissance ».

En matière pénale, la Cour d’appel de Rennes en 1997  Kerdreux c/ Association nationale de protection des eaux et rivières a évalué le préjudice d’une association au vu de l’ampleur de la pollution.

Pour sa part, le Conseil d’Etat s’est prononcé deux fois en 1969 Ville de Saint-Quentin et 1984 Fédération des associations de pêche et de pisciculture de la Sommecontre la reconnaissance du préjudice écologique, en répondant aux associations de pêche demandant la réparation d’un dommage écologique constitué par la pollution de rivières que ce dommage ne peut « par lui-même ouvrir droit à aucune réparation »

L’affaire Erika

Dans un arrêt en date du 25 septembre 2012, la Cour de Cassation a décidé de condamner la société Total à réparer les dommages suite à la catastrophe environnementale du naufrage d’Erika et a reconnu le préjudice écologique.

Deux ans plus tard, le rapport Jegouzo vient proposer 10 articles pour mettre en place le régime concernant le préjudice  écologique. Proposition n°1 : « Définir le préjudice écologique et créer un régime de réparation du dommage environnemental dans le Code civil ».

Le préjudice écologique serait donc une « atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ».Le préjudice écologique devrait véritablement prendre forme en droit français.

Christiane Taubira s’inspirant de ce rapport, la garde des Sceaux s’est exprimée dans un message enregistré diffusé en clôture d’un colloque sur la criminalité écologique organisé par Le Monde. 

Le texte qui comprend quatre articles prévoit le principe d’une réparation « par priorité en nature » du préjudice écologiste, c’est-à-dire l’idée d’une remise en état du milieu dégradé aux frais de celui qui en est jugé responsable, selon le principe du pollueur-payeur. A défaut, une indemnisation peut être envisagée en remplacement.

« Lorsque l’auteur du dommage a commis intentionnellement une faute grave, un juge pourra aussi le condamner à une amende civile qui ne pourra pas être supérieure à 2 millions d’euros, sauf s’il s’agit d’une personne morale.

Dans ce cas, l’amende pourra être portée à 10% du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxe le plus élevé » réalisé lors d’un exercice précédent, précise le texte.

Le projet liste également les personnes qui auront qualité pour demander cette réparation parmi lesquelles figurent l’État, le ministère public, les collectivités locales et le groupement des territoires concernés ainsi que les associations de protection de la nature.

Le texte fait également référence à un « fonds de réparation environnementale » qui pourrait être créé sur le modèle du fonds Barnier pour les catastrophes naturelles.

L’avocate a fait parvenir au géant de l’énergie une lettre. Le Business and Human Rights Center a sommé l’entreprise allemande d’y répondre. « 

La firme a jusqu’au 21 avril pour se décider. Passé ce délai, c’est devant les tribunaux allemands que se réglera l’affaire.

Affaire à suivre…

Sources : www.der-oderlandspiegel.dewww.lexpress.frwww.lexpress.fr,
www.lexpress.fr/actualite/societe/justicewww.gesetze-im-internet.de,
Rapport JEGOUZO www.actu-environnement.com/ae/news/prejudice-ecologique-dix-propositions-rapport-yves-jegouzo-19471.php4,
« Pour la réparation du préjudice écologique », Rapport du groupe de travail installé par Madame Christiane TAUBIRA, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 17 sept. 2013 : www.justice.gouv.fr/art_pix/1_rapport_prejudice_ecologique_20130914.pdf

Sources des images :  www.la-fontaine-ch-thierry.net/lionrat.htmde.wikipedia.org/wiki/RWE_Generationwww.wedemain.fr/Un-petit-proprietaire-peruvien-s-attaque-a-un-geant-de-l-energie-allemande_a921.html
Source de l’image à la une : bible-illustrations.gatchina3000.ru/092_david-and-goliath.htm

Angélie Pompée
Angélie Pompée Rédactrice web
Angélie Pompée est étudiante en Master de droit franco-allemand à l’université Panthéon-Assas à Paris. Elle a effectué un échange avec la Humboldt Universität à Berlin. Ayant un attrait pour l’actualité des entreprises en Allemagne et en France, Angélie est intéressée par les décisions de justice et les lois influant sur leurs activités. Son expérience chez des cabinets d’avocat franco-allemands renommés comme Herstlet Wolfer & Heintz et Dr. Busch & Kollegen, lui ont permis d’acquérir les atouts pour apporter un regard juridique pertinent sur les dernières tendances franco-allemandes.